Annual high-level panel discussion on human rights mainstreaming Jean Ziegler Membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme 27 février 2017 Développement durable - Droits de l’homme – Coopération internationale - Lutte pour la paix Les droits de l’homme sont mentionnés quinze fois dans la Charte de l’ONU, mais jamais dans son chapitre VII. Les droits de l’homme ne peuvent donc jamais être imposés par la contrainte. Ils ne peuvent être mis en œuvre que par le dialogue, la coopération, la médiation entre les parties. Rappelons aussi que l’égalité entre les États est un principe démocratique fondamental de la Charte, dont le chapitre I (art.2) dit : « L’organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres ». Les pères fondateurs de l’ONU se sont penchés sur la cause des guerres. Le 6 janvier 1941, dans son fameux « Discours des quatre libertés », le président américain Franklin D. Roosevelt déclarait : « La liberté véritable ne peut pas exister sans sécurité économique. La misère est le terreau où poussent la violence et les guerres ». Reprenant ces propos dans sa présentation des « Buts du millénaire » lors de l’Assemblée générale des Nations unies de l’an 2000, Kofi Annan invoquait « le triangle indissoluble qui lie entre eux la lutte pour la paix, les droits de l’homme et le développement économique ». Pour la prévention des attaques contre la paix, pour le rétablissement de la paix après un conflit, la mise en œuvre de tous les droits de l’homme par les instances de l’ONU est ainsi indispensable. Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social (1752) résume mon propos : « Entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère ». Je veux développer ici la question de la misère, qui constitue aujourd’hui une agression permanente et effroyable contre une fraction importante de l’humanité. Par certains de ses aspects, l’ordre économique du monde est à la fois absurde et meurtrier. Je prends l’exemple du massacre quotidien provoqué par la faim et la malnutrition. Selon les chiffres de la FAO, plus de 850 millions d’êtres humains sont annuellement victimes de ces fléaux. Toutes les cinq secondes un enfant au-dessous de dix ans meurt de faim ou de ses suites immédiates. Et cela sur une planète qui, selon la même FAO, pourrait nourrir normalement (2200 calories/individu adulte par jour) 12 milliards d’êtres humains, soit pratiquement le double de l’humanité d’aujourd’hui. Conclusion : il n’existe aucune fatalité, un enfant qui meurt de faim à l’heure où nous parlons est assassiné. Depuis plus de soixante-dix ans, les Nations unies et leurs organisations spécialisées (le PNUD, l’OMS, l’OIT, le PAM, l’UNICEF, etc.) font un travail magnifique pour faire reculer la misère dans le monde et y faire progresser la justice sociale. Depuis plusieurs années déjà, ces organisations intègrent dans chacun de leur programme les exigences des droits de l’homme, notamment des droits économiques, sociaux et culturels des populations concernées. Cependant, les principaux acteurs aujourd’hui de l’économie mondialisée ne sont plus les États, mais les sociétés transcontinentales privées. Un chiffre : selon la Banque mondiale, en 2015, les 500 plus grandes sociétés transcontinentales privées – tous secteurs confondus – ont contrôlé d’une façon ou d’une autre 52,8% du produit mondial brut, c’est-à-dire de toutes les richesses produites en une année sur la planète. La plupart de ces sociétés réunissent une créativité scientifique et technologique admirable. Mais elles échappent presque à tout contrôle étatique, parlementaire, syndical, ou autre. Elles possèdent un pouvoir que jamais un empereur, un roi, un pape n’a détenu sur cette planète. Elles sont le véritable pouvoir planétaire. Elles ne fonctionnent – ce qui est parfaitement normal – que selon un seul principe : la maximalisation du profit dans le temps le plus court. Il est vrai que depuis plus d’une décennie un grand nombre de sociétés transcontinentales privées reconnaissent l’existence des droits de l’homme et leur obligation d’en tenir compte, mais elles prétendent contrôler elles-mêmes leur application par des mécanismes volontaires. Le Global Compact entre les Nations unies et certaines des principales multinationales a été signé en 1999. Le 26 juin 2014, le Conseil des droits de l’homme a adopté la résolution 26/9. Cette résolution marque un changement stratégique radical : c’est la fin du Softpower (l’autocontrôle des sociétés transcontinentales) et son remplacement par une normativité internationale contraignante dont le Conseil des droits de l’homme doit être le garant. Un groupe de travail interétatique sous la présidence de l’Équateur a été créé, avec l’appui massif de la société civile internationale, dans le but de préparer un traité établissant des mécanismes de contrôle contraignants touchant au respect, par les sociétés multinationales, des droits de l’homme civils et politiques, économiques, sociaux et culturels. Dans la présente session du Conseil des droits de l’homme (mars 2017), ce groupe de travail, sous la présidence de l’Équateur, soumet un premier rapport d’activités. Un deuxième rapport est attendu pour la session du Conseil des droits de l’homme de septembre prochain. Les travaux pour l’établissement de ce traité, nourri des apports multiples d’acteurs étatiques et non-étatiques, progressent rapidement. Une des questions qui restent pour l’instant en suspens est celle du for judiciaire. La coalition des organisations de la société civile internationale Stop Impunity propose que les victimes de violations de leurs droits par une société multinationale puissent porter plainte pour dommages et intérêts dans le pays d’origine de la multinationale concernée. Malgré la mobilisation extraordinaire de la société civile internationale et l’excellent travail fourni par le groupe de travail interétatique, l’issue du combat pour le traité est encore incertaine. L’Union européenne et les États-Unis notamment s’opposent farouchement à tout établissement d’un mécanisme de contrôle contraignant. Or, je le répète, la lutte pour l’universalité des droits de l’homme est une condition essentielle pour la consolidation de la paix. Il reste à espérer qu’au sein du Conseil des droits de l’homme cette évidence et la raison l’emportent et qu’après le deuxième rapport à venir, les recommandations du groupe de travail interétatique soient acceptées. Le traité espéré constituerait un apport décisif à la lutte de l’ONU pour l’universalisation des droits de l’homme, pour l’élimination de la misère et pour la paix.